Les litiges et différends liés au programme Sport Sécuritaire représentent une part croissante du domaine du droit du sport au Canada. Depuis les années 1990, les organismes nationaux de sport (« ONS ») sont tenus de disposer de leurs propres politiques internes de gestion des plaintes et du harcèlement afin de recevoir des fonds fédéraux. Les organismes provinciaux de sport (« OPS ») et les clubs ont également adopté des politiques similaires pour protéger leurs membres. En 2022, le Centre de règlement des différends sportifs du Canada a mis en place le programme Sport Sans Abus, un programme indépendant visant à éliminer toutes formes de harcèlement, de discrimination et de maltraitance dans le sport canadien. Un premier Commissaire à l’intégrité dans le sport a été nommé pour superviser le programme, et le Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport (BCIS) fonctionne de manière indépendante pour traiter les plaintes concernant les violations présumées du Code universel de conduite pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport (CUC).
Selon notre expérience en tant que conseillers juridiques représentant des clients dans des différends relatifs au programme Sport Sécuritaire, que ce soit auprès du BCIS ou dans le cadre des mécanismes de règlement des différends des ONS et OPS, notre rôle essentiel consiste à veiller au respect de l’équité procédurale. Il est primordial que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale soient rigoureusement respectés pour garantir l’équité des processus, tant pour les plaignants que pour les répondants.
Justice Naturelle et Équité Procédurale
Les principes de justice naturelle existent en droit comme garantie pour les individus et imposent qu’en toute situation où les droits ou privilèges d’une personne sont en jeu, il existe une obligation d’agir de manière équitable sur le plan procédural. Ces principes reposent sur l’idée que le fond d’une décision sera probablement plus juste si la procédure suivie pour prendre cette décision est équitable. Il est particulièrement important d’appliquer un standard élevé de justice dans ces procédures, car bon nombre des plaintes déposées contre des entraîneurs ou des arbitres peuvent avoir un impact direct sur leurs moyens de subsistance.[1]
Parmi les principes les plus importants en matière d’équité procédurale dans le cadre des litiges liés au programme Sport Sécuritaire, on trouve :
- La divulgation
- La possibilité de répondre
- Le devoir de considérer l’ensemble des preuves
- Le droit à des décideurs impartiaux et exempts de tout parti pris
- Les délais
Divulgation et Possibilité de Répondre
L’obligation de divulgation et la possibilité de répondre sont souvent indissociables. Les parties ont le droit d’être informées des éléments faisant partie d’une plainte et servant de base à une conclusion ou à une décision. De plus, elles doivent avoir la possibilité de répondre à ces informations. Par exemple, si un enquêteur dans un litige lié au programme Sport Sécuritaire prend connaissance de nouvelles preuves au cours des entretiens avec des témoins, il doit soumettre ces preuves à l’autre partie et lui donner la possibilité d’y répondre, s’il envisage de s’appuyer sur ces preuves pour fonder une conclusion ou une décision. L’obligation de divulgation est particulièrement importante lorsque les informations sont essentielles à la plainte. Si une partie ne peut pas consulter et répondre à des informations importantes dans une affaire, la décision peut être jugée inéquitable sur le plan procédural et annulée.[2]
L’obligation de divulgation s’étend également aux allégations portées contre un répondant et aux conséquences potentielles. Dans l’affaire Wayne Gordon v Canadian Amateur Boxing Association [Wayne Gordon][3], l’arbitre a conclu que l’entraîneur n’avait pas reçu une divulgation adéquate des allégations portées contre lui ni des sanctions potentielles, et que, par conséquent, les décideurs n’avaient pas respecté la norme de justice nécessaire.
Obligation de Prendre en Compte Toutes les Preuves
Dans de nombreux litiges liés au programme Sport Sécuritaire, y compris ceux instruits par le BCIS, un enquêteur indépendant est désigné pour interroger les parties et leurs témoins afin de déterminer s’il existe suffisamment de preuves pour étayer les allégations. Dans ce processus, il est généralement demandé aux parties de recommander une liste de témoins à l’enquêteur pour soutenir leur position. Les enquêteurs ont l’obligation de mener une enquête approfondie et d’interroger les témoins recommandés. Cette obligation a été abordée dans l’affaire Andy McInnis v Athletics Canada and Ottawa Lions Track and Field Club [Andy McInnis][4], où l’arbitre Bennett a établi une liste non exhaustive des obligations d’une enquête visant à garantir l’équité. Il a spécifiquement souligné que les enquêteurs devraient examiner et prendre en compte toutes les preuves avec soin, et interroger tous les témoins proposés par les deux parties, sauf en cas de raisons impérieuses de ne pas le faire. Si un enquêteur décide de ne pas interroger une personne, cela doit être indiqué dans le rapport final, avec les raisons de cette décision.
Impartialité
L’équité procédurale est violée lorsque le décideur est biaisé ou que sa conduite ou ses déclarations suscitent une crainte raisonnable de partialité. Les décideurs ne doivent pas laisser leurs convictions personnelles ou leurs intérêts influencer leurs décisions. L’obligation d’être impartial s’applique tant aux arbitres qu’aux enquêteurs. La simple possibilité de partialité peut suffire à démontrer un biais et entraîner l’annulation d’une décision. Des exemples de situations pouvant démontrer une possibilité de partialité comprennent : une implication antérieure dans l’affaire, une relation entre le décideur et l’une des parties, une hostilité marquée envers l’une des parties ou la possibilité d’un avantage tiré de l’issue de la procédure. Dans l’affaire Andy McInnis, l’arbitre a conclu que l’enquête était biaisée, notamment en raison de l’usage de langage incendiaire et de commentaires éditoriaux dans le rapport écrit par l’enquêteur. Dans l’affaire Wayne Gordon, l’arbitre a estimé que deux des membres du comité décisionnel avaient agi à la fois comme enquêteurs et juges, ce qui ne respectait pas les normes d’équité et d’impartialité requises.
Délai
L’un des plus grands problèmes rencontrés par notre cabinet dans le cadre de l’équité procédurale dans les litiges liés au programme Sport Sécuritaire est le délai. Un retard déraisonnable dans le traitement et la gestion des plaintes peut constituer un abus de procédure.[5] Les retards dans les procédures de Sport Sécuritaire peuvent causer un préjudice extrême aux parties, en particulier aux entraîneurs et arbitres répondants, car de nombreuses politiques disciplinaires et de gestion des plaintes, y compris celles de l’OSIC, prévoient que des mesures provisoires peuvent être mises en œuvre avant tout constat de culpabilité. Cela inclut des mesures telles que la supervision obligatoire ou la suspension. Dans certains cas, ces mesures peuvent empêcher une partie de poursuivre son activité professionnelle ou avoir un impact sur la carrière d’autres athlètes dont l’entraîneur fait l’objet d’une plainte et est provisoirement suspendu. Cela peut entraîner des pertes financières, des pertes d’opportunité et des dommages à la réputation du répondant. Bien que la raison d’être des mesures provisoires soit louable, dans la mesure où elle vise à protéger les participants vulnérables en attendant la fin des enquêtes ou des audiences, les conséquences peuvent, dans de nombreux cas, causer un préjudice extrême aux répondants et vont à l’encontre d’un principe juridique fondamental : la présomption d’innocence. Dans certains cas, des mesures provisoires sont imposées avant même qu’un répondant ne soumette une réponse à la plainte. Dans bon nombre de ces procédures, les enquêtes de Sport Sécuritaire prennent plusieurs mois, voire plus d’un an, et les répondants ne sont souvent libérés de leurs mesures provisoires qu’à la fin des procédures. Dans les cas où la plainte est jugée non fondée ou frivole, cela peut entraîner une véritable injustice pour le répondant. Il est donc impératif que les litiges liés au programme Sport Sécuritaire soient menés de manière efficace et sans délai afin de protéger les intérêts des parties et de garantir l’équité procédurale.
Conclusion
Les organisations sportives, y compris l’OSIC, sont confrontées à de véritables défis pour enquêter, poursuivre et résoudre de manière équitable et efficace les litiges liés au programme Sport Sécuritaire tout en protégeant les intérêts de toutes les parties. Les parties impliquées dans un litige doivent être conscientes des principes de l’équité procédurale afin de veiller à la protection de leurs intérêts. Pour toute information complémentaire sur le programme Sport Sécuritaire et les litiges connexes, veuillez contacter Alexandre Maltas ou Elizabeth Cordonier.
[1] Kane c. Board of Governors of UBC, [1980] 1 SCR 1105
[2] Voir Davidson c. Canada (Procureur général), [2019] FCJ No. 880, 2019 FC 997, Cour fédérale, 25 juillet 2019, H.S. Brown J.
[3] SDRCC 2003 ADR 02-0013
[4] SDRCC 19-0401 au para 165
[5] Blencoe c. Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne), [2000] 2 R.C.S. 307