La Cour suprême du Canada (« CSC ») a rendu sa décision très attendue dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27 (« Restoule »). La CSC a conclu à l’unanimité que la Couronne avait « violé de manière déshonorante ses promesses sacrées » en vertu des traités Robinson-Supérieur et Robinson-Huron (« Traités Robinson ») pendant près de 150 ans. Restoule est la décision la plus importante de la CSC sur l’interprétation des traités depuis la décision fondamentale de la CSC dans l’affaire R c. Marshall [1999] 3 RCS 456.
I. Contexte
En 1850, les Anishinaabe des lacs Huron et Supérieur ont conclu des traités de cession de terres avec la Couronne. Ces traités contenaient une « Clause d’augmentation », selon laquelle les paiements annuels perpétuels devaient être augmentés au fil du temps si les terres cédées généraient des profits permettant à la Couronne d’augmenter les annuités sans encourir de pertes. Selon cette clause, ce montant ne devait pas dépasser l’équivalent de 4 $, mais la Couronne avait le pouvoir de l’augmenter. Les annuités sont restées à 4 $ depuis 1875. En 2001 et 2014, les Anishinaabe des lacs Supérieur et Huron ont respectivement déposé des demandes de réparation déclaratoire et compensatoire concernant l’interprétation, la mise en œuvre et la violation alléguée de la Clause d’augmentation. Ni le Canada ni l’Ontario n’ont contesté qu’ils étaient en violation de longue date des promesses des annuités.
L’appel devant la CSC portait sur la bonne interprétation de la Clause d’augmentation, l’obligation de la Couronne de remplir cette clause et le recours approprié pour la violation des Traités.
II. Résumé de la Décision de la CSC
La CSC a partiellement accueilli les appels de l’Ontario, rejeté les appels croisés des plaignants et a rendu une déclaration sur les droits et obligations en vertu de la Clause d’augmentation. La CSC a déclaré que le manquement de la Couronne à remplir diligemment la Clause d’augmentation constituait une violation déshonorante des Traités Robinson. En vertu de la clause d’augmentation, la Couronne a le devoir d’examiner périodiquement si elle peut augmenter les annuités sans encourir de pertes. Si les circonstances économiques le permettent, la Couronne doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les annuités doivent être augmentées et, si oui, de combien. Dans l’exercice de ces devoirs, la Couronne doit agir de manière compatible avec l’honneur de la Couronne, y compris l’obligation de mise en œuvre diligente. Le pouvoir discrétionnaire de la Couronne doit être exercé de manière diligente, honorable, libérale et juste. Ce pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité et est soumis à un contrôle judiciaire.
La CSC a déterminé que la gamme complète des recours est disponible pour cette violation. Bien que les plaignants aient droit à une déclaration clarifiant les droits et obligations des parties, ils ont également droit à des dommages-intérêts, étant donné la nature de longue date et flagrante de la violation par la Couronne. Après avoir déjà conclu un règlement négocié concernant les violations passées avec les plaignants Huron, la Couronne a été invitée à entamer des négociations honorables et dans un délai fixé avec les plaignants Supérieurs concernant une indemnisation.
III. Principales Conclusions
L’Honneur de la Couronne n’est pas un Motif d’Action mais peut Générer Divers Devoirs
La CSC a affirmé que bien que l’honneur de la Couronne soit une puissante doctrine constitutionnelle, il « n’est pas en soi un motif d’action ; il parle plutôt de la manière dont les obligations qui y sont associées doivent être remplies. »[1] En même temps, il n’est « pas une simple incantation, mais un principe fondamental qui trouve son application dans des pratiques concrètes », et « donne lieu à différents devoirs dans différentes circonstances ».[2] Les devoirs spécifiques découlant de l’honneur de la Couronne dépendent « fortement » du contexte dans lequel cet honneur est engagé.[3]
Devoir Fiduciaire vs. L’Honneur de la Couronne
La CSC a estimé qu’en ce qui concerne la clause d’augmentation, la Couronne n’était pas soumise à un devoir fiduciaire ad hoc ou sui generis.[4] Cependant, conformément à l’honneur de la Couronne, il existe un devoir de mettre en œuvre diligemment les traités, et ce devoir n’est pas seulement procédural.[5] Il ne suffirait pas pour la Couronne de simplement « considérer » les augmentations au-dessus du plafond de 4 $ de temps à autre.[6]
Le Standard de Révision en Appel pour l’Interprétation des Traités
La CSC a affirmé que l’interprétation des traités historiques entre la Couronne et les peuples autochtones est révisable pour exactitude. La révision pour exactitude est requise pour l’interprétation des traités en raison de la nature de précédent et constitutionnellement protégée des droits issus des traités et parce que les traités engagent l’honneur de la Couronne. La CSC a également confirmé le cadre en deux étapes pour l’interprétation des traités et a précisé les objectifs et principes sous-jacents de l’interprétation des traités, conformément au droit établi par R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456.[7]
Immunité de la Couronne et Limitations
Sur la question de l’immunité de la Couronne et des limitations, la CSC a conclu qu’aucun délai de prescription législatif ne faisait obstacle aux demandes pour violation des Traités Robinson, et qu’il n’était pas nécessaire de considérer l’immunité de la Couronne. Les demandes pour violation de traités ne sont pas prescrites par la Loi de 1990 sur les limitations de l’Ontario car elles ne sont ni des « actions en responsabilité » ni des « actions d’acte comptable ». Les conclusions de la CSC sont basées sur les dispositions uniques des lois de limitations de l’Ontario et ne doivent pas être lues comme une approbation générale des demandes en matière de traités n’étant pas soumises à des délais de prescription. Par exemple, voir Shot Both Sides c. Canada, 2024 CSC 12[8] où la CSC a confirmé le délai de prescription de six ans pour les demandes en matière de traités en vertu de la législation sur les limitations de l’Alberta.
IV. Discussion
Cette décision confirme que le pouvoir discrétionnaire de la Couronne concernant la manière dont elle respecte ses obligations en matière de traités, y compris l’indemnisation pour les engagements de traité, « n’est pas illimité », comme l’a soutenu l’Ontario. Au contraire, le pouvoir discrétionnaire de la Couronne doit « être exercé de manière libérale, juste et conformément à l’honneur de la Couronne », et sa décision peut être révisée par les tribunaux.
La CSC a interprété et appliqué la législation sur les limitations de l’Ontario lorsqu’elle a examiné les demandes des plaignants et a déterminé qu’aucun délai de prescription législatif n’empêchait les demandes pour violation des Traités Robinson. Par conséquent, cette décision est spécifique aux demandes en équité pour violation de traité en Ontario. Cela est significatif compte tenu de la décision récente dans Shot Both Sides où la CSC n’a pas abordé la constitutionnalité de l’application des lois sur les limitations, en particulier la Loi de 1970 sur les limitations d’actions de l’Alberta, aux droits autochtones et aux demandes en matière de traités. Dans Shot Both Sides, la CSC a estimé que la demande de la Blood Tribe pour des droits de terres de traité était prescrite par l’application du délai de prescription de six ans en vertu de la législation de l’Alberta.
Restoule est également notable pour la reconnaissance par la Cour de l’interprétation des Traités Robinson par les Anishinaabe, non pas comme des instruments transactionnels, mais comme des accords vivants fondés sur les valeurs de respect, responsabilité, réciprocité et renouvellement. La décision souligne l’importance de respecter les interprétations autochtones et le rôle que cela peut jouer dans l’avancement de la réconciliation. Comme l’a souligné la CSC « Il est temps pour les parties de retourner au feu du conseil et de raviver la relation perpétuelle que les Traités Robinson envisagent. Rien de moins ne démontrera l’engagement de la Couronne en faveur de la réconciliation. »[9]
À l’avenir, Restoule clarifie que les tribunaux peuvent tenir la Couronne responsable de son échec continu à respecter et mettre en œuvre diligemment ses promesses de traité. Les Premières Nations cherchant réparation pour ces violations ne sont pas limitées à des déclarations et peuvent demander d’autres formes de réparation, telles que des indemnités. Une considération importante pour les Premières Nations sera de savoir si la législation sur les limitations en vigueur dans leur juridiction s’applique à leurs demandes potentielles.